SUPPOSE

(extrait du poème "Bergeries", d'Eugène Guillevic)


Suppose
Que je vienne et te verse
Un peu d’eau dans la main
Et que je te demande
De la laisser couler
Goutte à goutte
Dans ma bouche

Suppose
Que le vol d’un oiseau
Nous invite au voyage
Et que je te demande
De nous blottir en lui
Pour avec lui voler
À travers ta pénombre

Suppose
Que près de toi mes jours
Aient un cours trop rapide
Et que je te demande
De faire de mon temps
Un temps de végétal
Pas pressé de fleurir

Suppose
Que le bois de la table
Réclame ses racines
Et que je te demande
De nous y prendre ainsi
Qu’il ait surtout besoin
Du toucher de nos mains

Suppose
Que l’horloge s’arrête
En éclatant de rire
Et que je te demande
De lui dire que rien
N’est changé pour cela
À ce que fait le temps

Suppose
Que l’univers entier
Ne soit plus que terreur
Et que je te demande
D’user de tes regards
Pour qu’au moins la prairie
Cède à notre sourire

Suppose
Que le jour et la nuit
Confondent leurs horaires
Et que je te demande
De m’aider à trouver
Comment faire un matin
Quand il n’y en a pas

Suppose
Qu’un ange rencontré
Nous offre un paradis
Et que je te demande
Que nous nous écartions
Et le laissions tout seul
Raconter son velours

Suppose
Que je vienne et te verse
Un peu d’eau dans la main
Et que je te demande
De la laisser couler
Goutte à goutte
Dans ma bouche

Suppose que…